
Le premier ministre du Canada s’adressait aux Canadiennes et aux Canadiens pour la quatrième fois ce 14 juin. L’occasion, selon lui, de présenter l’évolution du déconfinement, de tirer les leçons de la crise, et de commencer à écrire la suite. L’occasion en réalité de s’offrir un auto-satisfecit pour gommer l’incurie de la politique gouvernementale et, par un révisionnisme politique cynique visant à capter et détourner le sens des mots, de s’arroger la tâche de reconstruction. En tant qu’élu au Canada, je pense que c’est politiquement incorrect.
Après le chef de guerre Justin Trudeau et ses discours martiaux, c’était donc le retour du communicant qui entendait capitaliser sur les mesures de déconfinement. « Dès demain », nous disait-il, la vie allait reprendre un cours plus normal. Et d’énumérer précisément la levée des interdictions : passage au palier vert dans la plupart des provinces et territoires, assouplissement des restrictions à la frontière canado-américaine et pour certains voyages internationaux, retour en classe de tous les élèves dès le 22 juin, maintien de scrutins municipaux dans certaines localités à la fin juin, visites autorisées dans les CHSLD et foyers de soins de longue durée.
Un point, un seul, manque à l’appel : les « rassemblements qui resteront très encadrés ». Autrement dit, le premier ministre entend garder la main et la possibilité de contraindre le mouvement social. Et, une fois encore, user du régime d’exception quand bien même les choses reviennent à la normale. Avec Trudeau, les libertés individuelles s’arrêtent aux revendications collectives.
L'aveu d'une gestion de crise mal gérée
L’analyse de la gestion de crise s’est quant à elle rapidement transformée en apologie de la politique gouvernementale : « Nous n’avons pas à rougir, des dizaines de milliers de vies ont été sauvées », s’est ainsi félicité Justin Trudeau dans un sordide renversement de perspectives, les « vies sauvées » devant occulter les morts présentées sans le dire comme inéluctables.
Coupant court à toute comparaison avec des pays voisins qui ont incontestablement su anticiper et faire face, le chef du gouvernement a décrété que le « virus nous a frappés plus tôt et plus fort que beaucoup d’autres » et que « nous pouvons être fiers ». Jusqu’à affirmer, pince sans rire, avoir placé « la santé au-dessus de l’économie en vous demandant de rester chez vous ».
Évacués le confinement tardif, le maintien de certains scrutins, le retour forcé au travail pour certains en plein confinement. Le révisionnisme historico-politique réécrit la gestion de crise et occulte sciemment les responsabilités en amont de celle-ci. Au moment même où, en Italie, le président du Conseil Giuseppe Conte était convoqué par la justice pour rendre des comptes, le monarque-premier ministre entend « tirer les leçons » par lui-même.
De l'économie canadienne

Des leçons aux perspectives, il n’y a qu’un pas que Justin Trudeau s’est empressé de franchir allègrement en captant le vocabulaire de l’ambition transformatrice populaire pour mieux le détourner. Ainsi en est-il de la « reconstruction d’une économie forte, écologique, solidaire et souveraine » : par écologique, entendre « qui concilie production et climat » avec des « industries vertes » ; les « relocalisations lorsque cela se justifie » ne seront pas une ligne directrice mais un recours ; la « relance solidaire pour mieux protéger nos aînés et les plus pauvres » substitue la charité à l’émancipation ; quant à la souveraineté, elle consiste à « travailler et produire davantage pour ne pas dépendre des autres ».
Justin Trudeau a pareillement lancé une OPA sur le terme « d’indépendance », répété à l’envi pour mieux le tordre : sous sa férule, l’indépendance devient, comme la souveraineté, l’attribut « d’un Canada indépendant, plus fort, plus souverain ». Revendiquant des ententes fédérales-provinciales « comme un tournant historique » et se drapant dans l’ACEUM avec Washington et Mexico, il prétend « mener en notre nom » (avec quel mandat ?) lors du prochain Sommet du G7 « ce combat » qui vise à évincer le peuple de la décision au profit d’un imperium technocratique.
La démocratie reste bien la grande absente du discours du premier ministre-monarque. Et pour cause : les institutions se substituent à la volonté populaire et c’est tout naturellement que Justin Trudeau a pu faire de son intervention une pré-campagne en fixant « les priorités pour les deux années à venir, le cap de la décennie que nous avons devant nous ». Ceux qui espéraient un retour devant le peuple en sont pour leurs frais : sous un parlementarisme canadien à bout de souffle, une double volte-face suffit à poursuivre un même chemin. Il faudra bien pourtant que le peuple lui coupe la route pour enfin engager la bifurcation.