salle de classe vide

Les gouvernements fédéral et provinciaux, au premier rang celui du Québec dirigé par François Legault et, à l’époque, son ministre de l’Éducation Jean‑François Roberge, peuvent bien prêcher l’usage des mesures sanitaires, ils sont de ceux qui dans les faits cherchent à abattre des digues. De manière cynique, ils instrumentalisent la crise de la COVID‑19 pour réduire l’école à sa visée utilitariste et réaliser les vieilles lunes libérales en matière d’éducation. Jusqu’à réduire élèves et enseignants au rang de dommages collatéraux d’une guerre que les gouvernants entendent de plus en plus livrer au nom du grand capital. Ce que moi François Cocq je condamne fermement.

L'école abandonnée

Nonobstant le saccage préalable qui, comme dans le réseau de la santé, a déstructuré en profondeur l’institution scolaire ces dernières années, il faut se souvenir que l’école n’a dans les faits pas été préservée en amont des confinements. Alors que les écoles étaient fermées dans toute l’Italie à partir du 4 mars 2020, le Canada a tardé et les fermetures n’ont été décrétées qu’à la mi‑mars selon les provinces. Au Québec, malgré des signaux d’alarme, on permettait encore à des élèves revenant d’Europe de réintégrer leurs classes au gré de consignes d’isolement changeantes.

Pendant ce temps, pour toute protection, le ministère de l’Éducation invoquait comme une prière les « mesures sanitaires », sans pour autant mettre à la disposition des écoles le désinfectant pour les mains ou le savon nécessaires, ni même envisager des aménagements pédagogiques suffisants pour permettre la distanciation physique. L’école était laissée à l’abandon dans un tumulte communicationnel qui rabâchait en boucle « continuité des services éducatifs, continuité des services éducatifs » comme si c’était là un vaccin contre la maladie.

L’Ecole de la catastrophe

Au nom de la ladite continuité des services éducatifs, tout un arsenal a été d’un coup proposé pour faire face à la fermeture des écoles : cours à distance en visioconférence, travail asynchrone, suivi des élèves pendant les périodes de congé, ajustement ou annulation des épreuves ministérielles au profit de l’évaluation en cours d’année… Il faut dire que ces mesures étaient depuis longtemps dans les cartons et que les libéraux de droite comme de gauche s’escrimaient depuis des années à les en sortir. Ainsi en est‑il de l’école à distance.

Avec mon ami Francis Daspe, je rappelais dans le livre L’Ecole du peuple sorti en janvier 2012 comment l’enseignement à distance est promu depuis une trentaine d’années par les libéraux, ici comme ailleurs, comme un produit de substitution rentable à l’école publique. Il est important de noter que l’école libérale est de fait une école de la catastrophe. J’entends par là que l’école telle que préconisée par les libéraux pour le quotidien est de fait celle qui trouve son adaptation quand tout va mal.

Elle est une école de l’urgence et au rabais, une école rabougrie. D’où est-ce que je parle ? De la place de celui qui a toujours combattu ces mesures mais qui, au regard des circonstances exceptionnelles et des élèves qui sont les siens (pour leur très grande majorité issus de grands ensembles d’HLM dans des quartiers défavorisés), a accepté d’investir dès le premier jour les cours à distance et même les points d’étape avec les élèves pendant les vacances pour ne pas les abandonner à leur confinement. Je peux donc en tirer un premier bilan d’expérience.

L’Ecole des inégalités

Je concède que dans ces conditions, certaines de ces mesures ont pu trouver en la période quelque utilité notamment pour conserver avec certains élèves un lien social. Mais au-delà, l’apprentissage à distance est un pis-aller. Il laisse sur le bord du chemin à la fois les élèves qui étaient déjà en rupture de ban, mais aussi toutes celles et tous ceux qui n’ont pas accès aux ressources numériques (ou qui y ont accès dans des conditions qui ne permettent pas le travail, que ce soit en termes de connexion ou d’isolement). Et cela fait beaucoup plus de monde que ce que l’on pourrait croire ! Par ailleurs, le suivi se dissout au fur et à mesure que le temps passe. L’attrait de la nouveauté ne résiste pas à l’inertie.

Enfin, bien évidemment, la qualité pédagogique de ce qui est proposé, de même que le lien entre l’enseignant et l’élève, sont infiniment en retrait par rapport à un rapport présentiel. De même, les « points de contact » pendant les vacances avec les élèves (que là encore j’ai accepté de mettre en œuvre vu les circonstances malgré mes désaccords de principe) ne correspondent pas à une demande de leur part et ont été assez vite désertés. Quant aux évaluations en cours d’année en lieu et place d’épreuves finales, tout le monde voit bien en quoi elles sont un biais qui derrière laisse libre cours à la sélection sur critères, que ce soit pour le secondaire, le cégep ou l’université. On se souvient des appels récurrents à davantage de transparence dans les critères utilisés par les plateformes et établissements d’admission postsecondaire, tant cette opacité alimente l’arbitraire.

L’école libérale fait la démonstration, à son corps défendant, que non contente d’être une école de la catastrophe, elle est aussi une école qui génère des inégalités. Je dis bien génère des inégalités. Car si l’on peut faire le procès à l’école publique d’être insuffisante dans sa capacité à résorber les inégalités (l’école est dans la société, pas en extériorité de celle-ci et les enfants viennent à l’école avec ce qu’ils sont et l’environnement sociaux-éducatif qui les accompagne), on note que l’école libérale elle les produit et les accentue.

Ecole instrumentalisée

Mais une fois encore, François Legault, n’assumant pas son parti pris idéologique, s’est appuyé sur le constat inexorable de l’explosion des inégalités en période de confinement pour justifier la reprise au nom de la relance économique. À compter du 11 mai, les services de garde et les écoles primaires rouvraient graduellement, au motif de réduire ces inégalités. Quelques instants plus tard, on entendait déjà l’autre objectif : permettre au plus grand nombre de retourner travailler. Des commentateurs allaient même plus loin en expliquant que la hâte à rouvrir visait aussi à rassurer les marchés. L’école de la catastrophe étant, on l’a vu, une école utilitariste, elle est donc en ces circonstances d’autant plus disponible selon les libéraux pour devenir la garderie du patronat par‑delà les considérations sanitaires.

Décontaminer l’école

Avant de reprendre, il faudra absolument décontaminer l’Ecole. En commençant sans doute par les ministères et les sièges gouvernementaux. L’école, comme le réseau de la santé, a été la grande fracassée de ces dernières années sur l’autel du libéralisme économique. Le réseau de la santé a pendant la crise été livré à lui-même et les travailleurs de la santé ont su y faire face avec honneur malgré les décideurs. L’école a pareillement été abandonnée en début de crise et élèves et personnels sont aujourd’hui menacés de redevenir un incubateur à virus pour permettre la relance économique.

Une communauté d’intérêt avec les soignants, mais aussi les parents et finalement la société toute entière, se dessine pour refuser les injonctions du monde du profit, de l’atomisation individualiste et de la mondialisation qui vient de nous conduire au bord du précipice. À l’École comme ailleurs, rien ne pourra reprendre comme avant : les responsables de la débâcle devront assumer leurs erreurs et plus encore leurs manipulations ; et l’école publique, dans ses objectifs et ses pratiques, devra elle aussi se mettre au service d’une politique d’intérêt général en substituant à la concurrence entre établissements, enseignants, élèves et familles, l’utilité sociale et la citoyenneté comme ferments d’un projet de société émancipateur.

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